Huit pays veulent taxer les jets privés et les classes premium pour financer l’adaptation climatique des pays vulnérables. Un potentiel de 187 Mds d’euros.
Une coalition inédite pour cibler les transports aériens à forte empreinte
Les 30 juin et 1er juillet 2025, lors de la 4e Conférence internationale sur le financement du développement à Séville, huit États ont lancé une initiative fiscale coordonnée visant à instaurer une taxation ciblée sur les jets privés et les billets en classe affaires ou première. Cette coalition inclut la France, l’Espagne, le Kenya, la Barbade, le Canada, la Colombie, le Sénégal et les Îles Marshall. L’objectif affiché est d’introduire un mécanisme de taxation progressive pour capter une partie des revenus liés à l’aviation d’affaires et aux segments haut de gamme du transport aérien, afin de financer l’adaptation climatique dans les pays les plus vulnérables.
La proposition s’appuie sur un rapport co-publié par plusieurs think tanks spécialisés en fiscalité et en transition énergétique, selon lequel une généralisation de ces taxes à l’échelle mondiale permettrait de générer jusqu’à 187 milliards d’euros par an. Cette estimation repose sur une combinaison de taxes forfaitaires sur les vols en jet privé (de l’ordre de 3 000 à 6 000 euros par vol) et de taxes sur les billets en classes premium (de 20 à 100 euros par billet selon la distance).
Cette démarche marque un changement de posture : au lieu de viser le transport aérien dans son ensemble, la taxe cible les formes de vol les plus émettrices par passager-kilomètre. Un vol en jet privé émet en moyenne 5 à 14 fois plus de CO₂ par passager qu’un vol commercial en classe économique. Le message est clair : la contribution au financement de la lutte climatique doit refléter l’impact environnemental réel du mode de transport utilisé.
Un ciblage fiscal orienté sur l’équité environnementale
Les promoteurs de cette initiative soulignent que l’aviation d’affaires reste aujourd’hui très peu taxée, alors même qu’elle concerne une population restreinte, à hauts revenus, et responsable d’une part disproportionnée des émissions liées au transport aérien. Moins de 1 % de la population mondiale prend l’avion en jet privé, mais ces vols représentent près de 12 % des émissions du secteur en Europe selon les chiffres de Transport & Environment.
Le jet privé moyen consomme entre 300 et 500 litres de carburant par heure, pour une capacité de 4 à 10 passagers. À l’échelle d’un aller-retour Paris-New York en Falcon 7X, cela représente 22 tonnes de CO₂ par passager, contre 1,8 tonne en classe économique sur un vol commercial. La taxation proposée vise donc à introduire un signal prix cohérent avec l’intensité carbone réelle des usages.
Plusieurs options fiscales sont évoquées :
- une taxe au décollage sur les vols non réguliers en jet privé, avec des barèmes progressifs selon la masse de l’aéronef et la distance parcourue ;
- une surtaxe sur les billets en classe affaires ou première, différenciée selon les zones géographiques ;
- un prélèvement annuel forfaitaire sur les exploitants de flottes privées, à l’instar de la taxe poids lourds.
La proposition s’inspire partiellement des modèles appliqués en France, où une éco-contribution est en vigueur depuis 2020 (entre 1,5 et 18 euros selon la classe), mais son effet est limité. En ciblant directement les utilisateurs à forte empreinte carbone, la coalition vise un levier budgétaire à haut rendement : les usagers concernés sont peu sensibles aux hausses de prix et les recettes générées pourraient être canalisées rapidement vers des fonds d’adaptation.
Un potentiel budgétaire stratégique pour le financement climatique
Le chiffrage publié lors de la conférence de Séville évoque un potentiel de 187 milliards d’euros par an si tous les pays du G20 adoptaient ces mesures. Cette somme représente plus de la moitié de l’objectif de 340 milliards d’euros annuels recommandé par les Nations Unies pour financer l’adaptation et la résilience climatique dans les pays du Sud d’ici 2030.
Dans le détail, les recettes estimées se répartiraient comme suit :
- 56 milliards d’euros issus des vols en jet privé,
- 112 milliards d’euros issus des taxes sur les classes affaires et premières,
- 19 milliards d’euros générés par des mécanismes additionnels, comme les redevances sur terminaux d’affaires ou les droits d’atterrissage spécifiques.
La coalition propose que 50 % des revenus soient affectés directement à des projets d’adaptation, en particulier dans les domaines de l’eau, de l’agriculture, et de la gestion des risques côtiers. Les autres 50 % pourraient financer des investissements dans les infrastructures bas-carbone ou la recherche sur les carburants alternatifs pour l’aviation.
Le modèle suggéré reprend en partie les principes du Fonds vert pour le climat, mais cherche à s’extraire de la logique d’engagement volontaire. Il s’agirait ici d’un mécanisme de financement automatique, basé sur l’usage réel des services aériens à haute intensité carbone, plutôt que sur les contributions discrétionnaires des États.

Une opposition prévisible des acteurs de l’aviation d’affaires
Cette initiative n’a pas manqué de faire réagir le secteur. L’association EBAA (European Business Aviation Association) a exprimé sa préoccupation face à un dispositif jugé punitif et inefficace sur le plan environnemental. Selon elle, les opérateurs de jets privés investissent déjà dans des carburants durables (SAF), compensent volontairement leurs émissions et remplissent des fonctions essentielles : évacuation médicale, déplacement rapide pour les dirigeants industriels, ou transport sécurisé dans des zones instables.
Plusieurs exploitants font valoir que le vol en jet privé permet d’accéder à plus de 3 000 aérodromes en Europe, contre moins de 500 pour l’aviation commerciale, et offre donc un maillage territorial irremplaçable. Ils rappellent aussi que le temps de vol moyen est inférieur à 90 minutes, ce qui réduirait leur impact comparé à un long-courrier.
Mais ces arguments peinent à convaincre au-delà du cercle des professionnels. Le nombre de mouvements de jets privés en Europe a augmenté de 28 % entre 2019 et 2023, en partie alimenté par des comportements de contournement pendant la pandémie, et reste à des niveaux historiquement élevés. À cela s’ajoute la pression croissante des ONG environnementales et des opinions publiques, notamment en France, aux Pays-Bas ou en Espagne, où des interdictions symboliques ou des restrictions ciblées ont déjà été discutées.
La coalition des huit pays anticipe ces réactions, mais mise sur un effet d’entraînement : une adoption coordonnée par plusieurs États réduirait les risques de délocalisation fiscale ou de transfert vers des hubs non coopératifs. La Barbade, qui accueille chaque année plusieurs centaines de jets privés à haute valeur commerciale, a accepté de conditionner l’accès à ses aéroports à l’acquittement d’une taxe environnementale dès 2026.
Une possible inflexion des règles internationales de l’aviation
Au-delà de l’impact immédiat, cette coalition pourrait provoquer une révision partielle des règles de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Jusqu’ici, la taxation du kérosène reste interdite sur les vols internationaux par la Convention de Chicago (1944). Mais les taxes d’usage ou les prélèvements à l’embarquement sur des critères sociaux (classe de voyage, type d’aéronef) ne sont pas explicitement prohibés, ce qui ouvre une marge d’action aux États volontaires.
La France et l’Espagne ont annoncé vouloir inscrire cette question à l’ordre du jour de l’Assemblée triennale de l’OACI prévue en 2025. Si un consensus se dessinait, une révision des normes fiscales appliquées au transport aérien pourrait s’enclencher d’ici 2027, même si les résistances restent fortes, notamment de la part des États du Golfe et des États-Unis.
Plus largement, cette initiative traduit une tension croissante entre les objectifs climatiques et la structure actuelle du secteur aérien, historiquement conçu autour d’une fiscalité dérogatoire. Le kérosène n’est pas taxé, la TVA est souvent partielle ou absente sur les billets, et les émissions de CO₂ ne sont pas prises en compte dans les quotas carbone du secteur dans de nombreux pays.
La taxe ciblée sur les jets privés et les classes premium constitue donc une première tentative de corriger cet écart fiscal. Elle ne suffira pas à elle seule à réduire les émissions, mais elle introduit une logique de redistribution que peu d’outils financiers avaient jusqu’ici réussi à concrétiser dans l’aérien.
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