Pourquoi ressent‑on des turbulences et sont‑elles dangereuses ?

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Explication précise des causes des turbulences en vol, risques réels pour passagers, statistiques d’incidents et mécanismes de sécurité à bord.

Le phénomène des turbulences en vol suscite régulièrement inquiétudes et questions. Lorsque l’on perçoit des secousses, on se demande immédiatement si la situation présente un danger. Cet article propose une analyse technique, rigoureuse et documentée. Il s’adresse à des professionnels de l’aéronautique, des pilotes et des spécialistes météo cherchant à comprendre les mécanismes physiques, les statistiques d’incidents ainsi que les réponses opérationnelles employées dans l’aviation moderne. Dans un contexte où le réchauffement climatique amplifie ces perturbations, la connaissance des courants‑jets, cisaillements, turbulences en air clair et de sillage devient essentielle.

Le phénomène physique : pourquoi ressent‑on des turbulences

Les turbulences correspondent à des variations rapides et imprévisibles de la vitesse du vent dans l’atmosphère. Elles sont caractérisées scientifiquement par l’écart‑type σ de la vitesse de l’air en un point donné, lié aux courants‑jets ou aux cisaillements entre masses d’air se déplaçant à vitesse différente. La formule σ ≈ u/20 où u représente la vitesse horizontale moyenne montre que plus l’air circule vite, plus les fluctuations sont marquées. L’énergie cinétique turbulente TKE = ½·σ² entraîne des mouvements verticaux ou latéraux brusques en cabine. Dans certains cas, avec une vitesse avion élevée u ~ 250 m/s et une ascendance w élevée, l’accélération subie a peut dépasser 1 g, perçue comme turbulence sévère.

Plusieurs types de turbulence existent : thermique (courants ascendants sous les cumulus), mécanique (onde orographique au passage des massifs comme les Alpes), cisaillement en altitude en lien avec les courants‑jets, et turbulence de sillage générée par un aéronef précédent. Les turbulences en air clair (CAT) surviennent sans nuages ni indication visuelle, ce qui les rend les plus imprévisibles et parfois les plus sévères.

Classification selon la FAA

La Federal Aviation Administration définit quatre niveaux : légère, modérée, sévère et extrême. En turbulence légère, l’appareil subit de petites oscillations, les passagers peuvent se déplacer. En modérée, les changements d’assiette ou de cap sont plus marqués, les déplacements deviennent difficiles. En sévère, l’avion peut temporairement échapper au contrôle, les déplacements en cabine deviennent impossibles. L’extrême correspond à une perte de contrôle complète et peut entraîner la rupture structurelle.

Dans la pratique, la plupart des vols rencontrent des niveaux légers ou modérés. Le niveau sévère demeure rare mais réel dans 1 à 4 % des vols dans certaines régions clés.

Les raisons de leur augmentation et dangers associés

Une étude publiée en 2023 par l’American Geophysical Union indique que les turbulences en air clair ont augmenté de 55 % ces quarante dernières années, principalement au-dessus de l’Atlantique Nord en raison du réchauffement climatique intensifiant le cisaillement des vents dans les courants‑jets. Cette augmentation accroît le risque d’incidents inattendus. En Europe du Nord, Royaume-Uni et bassin méditerranéen, le risque a presque triplé en 44 ans, passant de 1,5 % à environ 4 % de probabilité de turbulences modérées ou fortes.

En termes d’incidents, depuis 2009, la FAA et le NTSB recensent 30 passagers et 116 membres d’équipage gravement blessés (hospitalisation supérieure à 48 heures, fractures, brûlures) causés par des turbulences. Entre 2009 et 2023, 207 cas graves ont été documentés. Bien que peu fréquents par rapport aux volumes de trafic, ces incidents soulignent que les blessures surviennent principalement lorsque les personnes ne portent pas leur ceinture ou sont en mouvement. Des passagers ont été projetés contre le plafond ou heurtés par des objets volants, des membres d’équipage brûlés par des boissons chaudes renversées.

Sur le plan structurel, les avions de ligne sont conçus pour supporter des charges bien supérieures aux turbulences rencontrées dans la pratique. Les contraintes répétées peuvent provoquer une usure à long terme, des fissures mineures ou des dommages cosmétiques, mais un crash dû à ce seul phénomène est pratiquement exclu.

Exemples marquants

En mai 2024, sur un vol Singapore Airlines, des turbulences sévères ont entraîné un décès probable et une trentaine de blessés, parmi lesquels douze hospitalisés. Ce type de turbulence est typiquement en air clair à haute altitude, sans avertissement visuel. Plus récemment, un vol Delta a enregistré 25 blessés nécessitant un atterrissage détourné, renforçant l’attention portée par les compagnies aériennes à ce type d’incident.

Les mécanismes de prévention et protocoles de sécurité

Prévisions et anticipation

Avant chaque vol, un briefing météo intègre les informations sur les zones de turbulences potentielles : orages, cisaillements, zones de courant‑jet. En vol, les radars embarqués détectent les cumulonimbus, tandis que les rapports entre avions via le contrôle aérien permettent d’alerter sur des zones instables non prévisibles par radar classique.

Pour la CAT, invisible à l’œil et parfois aux radars, les échanges au sein du réseau ATC et entre pilotes sont essentiels. Les radars de profilage de vent ou certains radars Doppler peuvent mesurer la turbulence à l’approche aéroportuaire.

Consignes à bord

Le premier principe est simple : attacher sa ceinture en permanence lorsque l’on est assis. Cela réduit fortement les risques de blessures graves. En avion moderne, le signal lumineux « attachez‑vous » peut être activé même en l’absence de turbulences visibles pour anticiper une zone à risques imminente.

En cabine, les services chauds peuvent être stoppés plus tôt, comme l’ont fait certaines compagnies pour éviter de brûler du personnel ou des passagers en cas de turbulence subite.

Protocoles en vol

Face à une zone turbulente, les pilotes peuvent modifier l’altitude ou ajuster légèrement la trajectoire. Ils adaptent la vitesse pour minimiser la charge sur la cellule (vitesse de turbulence). L’équipage est alors informé et préparé à sécuriser la cabine, fermer les compartiments et stopper les mouvements de passagers.

Recommandations pour les professionnels et perspectives scientifiques

Pour les pilotes, comprendre les sources météo des turbulences (cisaillement, courant‑jet, relief, sillage) aide à planifier et réagir efficacement. Pour les gestionnaires de flotte, l’impact financier est significatif : aux États-Unis, les coûts liés aux turbulences (équipements à remplacer, indemnités, retards) sont estimés entre 150 et 500 millions USD par an, soit environ 140 à 460 millions EUR.

Les progrès scientifiques exploitent désormais l’intelligence artificielle et le machine learning pour améliorer la détection et la prévision des turbulences, notamment en modélisant l’écoulement autour des ailes. Ces outils visent à anticiper la CAT et permettre aux pilotes d’ajuster leur trajectoire avec plus de précision.

Enfin, les autorités aéronautiques adaptent les normes de séparation pour éviter les turbulences de sillage. Un cas dramatique en approche d’un DC‑9 derrière un DC‑10 a conduit la FAA à imposer des distances minimales (par exemple 8 km derrière un avion lourd, 4 km entre deux appareils lourds) pour prévenir la traversée de tourbillons dangereux.

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