L’utilisation mondiale des jets privés a bondi de 28 % entre 2019 et 2023, portée par la pandémie, la concurrence et une clientèle toujours plus exclusive.
Une croissance rapide stimulée par la pandémie et la libéralisation du secteur
L’utilisation mondiale des jets privés a connu une hausse de 28 % entre 2019 et 2023, selon une étude publiée dans Nature et relayée le 4 juillet 2025 par le Khaleej Times. Cette tendance s’est affirmée sur tous les continents, avec un point d’accélération pendant la période 2020-2022. Le vol en jet privé, longtemps considéré comme un privilège ultra-confidentiel, est devenu un produit de consommation haut de gamme accessible à une clientèle plus large grâce à plusieurs dynamiques structurelles : évolution des comportements post-COVID, multiplication des plateformes numériques de location de jet privé, et pression concurrentielle sur les prix.
La pandémie a été un déclencheur. Entre les restrictions sanitaires, les annulations en cascade dans l’aviation commerciale et l’exigence de sécurité sanitaire personnelle, de nombreux clients aisés ont fait le choix du vol en jet privé pour des raisons de continuité professionnelle ou de regroupement familial. Des entreprises technologiques, des dirigeants de groupes multinationaux ou des personnalités politiques ont basculé vers ce mode de transport, souvent pour des trajets régionaux de moins de trois heures. Cette adoption s’est pérennisée au-delà des confinements, ouvrant la voie à une normalisation relative de l’usage du jet dans certains cercles.
En parallèle, le développement de modèles économiques innovants comme la location partagée, l’abonnement annuel ou la réservation à la demande via application mobile a permis de réduire les coûts d’accès. Des sociétés comme Wheels Up, JetSmarter, VistaJet ou XO ont renforcé leur offre sur les lignes intérieures et transatlantiques, poussant vers une standardisation de l’offre. Le prix moyen d’un vol en jet léger de 1 000 kilomètres a chuté de 18 % entre 2019 et 2023, atteignant en Europe un tarif de 7 500 euros l’heure de vol, contre plus de 9 200 euros avant 2020.
Un marché toujours dominé par les États-Unis mais en expansion globale
Près de 69 % des jets privés dans le monde sont immatriculés aux États-Unis, qui concentre également la majorité des infrastructures adaptées : plus de 5 000 aéroports secondaires sont accessibles aux jets d’affaires sur le territoire américain. La Floride, la Californie et le Texas figurent parmi les États les plus dynamiques. Les trajets les plus courants relient New York à Palm Beach, Los Angeles à Aspen, ou Dallas à Teterboro, avec une fréquence moyenne de 4 000 vols privés par semaine sur les périodes de pic.
Mais la croissance n’est plus uniquement nord-américaine. Le rapport met en lumière la montée rapide de la demande au Moyen-Orient, portée par les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et le Qatar. Des hubs comme Dubaï Al Maktoum (DWC) ou Riyad King Khalid (RUH) ont investi dans des terminaux spécifiques à l’aviation d’affaires, avec des services ultra-premium et des douanes dédiées. La clientèle locale, renforcée par les résidents fortunés et les touristes à haute dépense, alimente une activité de vol en jet privé à la fois domestique (vers les sites religieux ou balnéaires) et internationale (vers l’Europe ou l’Asie).
L’Asie du Sud-Est enregistre également une montée en puissance, bien que plus lente. La Thaïlande, Singapour et les Philippines accueillent une demande croissante de vols courts et d’événements exclusifs. En Afrique, la dynamique reste encore embryonnaire, concentrée sur l’Afrique du Sud, le Maroc et le Nigeria, en lien avec les activités pétrolières, minières ou diplomatiques.
Le déploiement de voyages touristiques « clés en main » par jet d’affaires renforce aussi la visibilité de ce marché. Le programme « Timeless Encounters », proposé par Four Seasons, illustre cette tendance : 22 jours, 9 destinations sur plusieurs continents, à bord d’un Boeing 757 privatisé, pour un tarif à partir de 265 000 euros par personne. Ces circuits ultra-ciblés participent à la hausse de la demande saisonnière.
Un secteur en tension face à ses impacts climatiques et à ses limites sociales
La hausse de la location de jet privé suscite des critiques croissantes, notamment en Europe. Un vol privé émet entre 2 et 14 fois plus de CO₂ par passager qu’un vol commercial en classe économique. Un jet léger consomme 300 à 600 litres de carburant par heure, un chiffre qui grimpe à 2 500 litres pour un Gulfstream G650 sur un vol long-courrier. L’empreinte carbone moyenne par passager sur un Paris-New York en Falcon 8X atteint 22 tonnes de CO₂, selon les données de l’ADEME.
Les ONG environnementales dénoncent une dérive, où des solutions logistiques hautement polluantes sont banalisées pour des usages parfois évitables. Elles soulignent aussi l’absence de taxation du kérosène, les exonérations de TVA sur les vols privés dans certains pays, et la faible intégration du secteur dans les dispositifs de compensation carbone.
En réponse, plusieurs pays envisagent des taxes spécifiques. La France, les Pays-Bas et l’Espagne plaident pour une taxe par décollage de 3 000 à 6 000 euros selon la distance et le type d’appareil. La Conférence de Séville de juillet 2025 a d’ailleurs vu émerger une coalition de huit pays pour instaurer une taxation sur les jets privés et les classes affaires, avec un potentiel de recettes estimé à 187 milliards d’euros si généralisée.
Mais le secteur reste structuré pour minimiser ses contraintes fiscales. De nombreux jets sont immatriculés à l’étranger (Île de Man, Malte, Bermudes) pour bénéficier d’une fiscalité plus souple. Les sociétés de gestion optimisent également leurs plans de vol pour éviter les aéroports les plus restrictifs. Par ailleurs, les alternatives techniques – comme l’usage de carburants durables SAF ou le développement de jets à propulsion hybride – sont encore non rentables à grande échelle et marginales dans l’offre actuelle.

Une segmentation de l’offre portée par la technologie et les données
Le développement rapide des plateformes de location de jet privé repose en grande partie sur la numérisation du secteur. Des applications permettent désormais de réserver en temps réel, de mutualiser les vols (modèle « empty leg »), ou de comparer les prix selon les disponibilités des flottes. L’algorithme devient un levier d’optimisation commerciale, mais aussi d’accès pour des clientèles en quête de flexibilité.
Le segment des jets légers (Citation Mustang, Phenom 100, HondaJet) est celui qui progresse le plus vite : il représente 54 % des nouvelles demandes en Europe en 2023, avec un coût à l’heure variant de 2 000 à 4 000 euros. Ce format est privilégié pour les trajets intra-européens ou court-courriers d’affaires. À l’opposé, les jets ultra long-courriers (Bombardier Global 7500, Gulfstream G700) captent la clientèle de niche souhaitant relier Dubaï à Los Angeles sans escale. Ces appareils coûtent jusqu’à 75 millions d’euros à l’achat et consomment près de 6 tonnes de carburant par vol long-courrier.
Les exploitants développent aussi des services annexes : catering haut de gamme, personnalisation cabine, accès sans passage douanier, chauffeurs privés sur tarmac, etc. Cette montée en gamme continue alimente un marché estimé à 28 milliards d’euros en 2024, avec une croissance annuelle projetée de 5,7 % d’ici 2030.
Les freins restent cependant réels. Le coût d’entretien, la pression réglementaire croissante et le manque de pilotes certifiés pour les jets d’affaires ralentissent la croissance sur certains marchés. En 2024, le secteur a connu une tension sur les disponibilités de pilotes qualifiés, obligeant plusieurs opérateurs à annuler des missions faute d’équipage, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni.
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