La menace des droits douaniers américains pèse sur Dassault

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Dassault Aviation confronté à une taxe US de 30 %, tensions logistiques, chute des commandes Falcon et repli de l’action malgré un chiffre d’affaires en hausse.

En 2025, Dassault Aviation traverse une période de turbulence marquée par des incertitudes réglementaires et des difficultés industrielles. Si le chiffre d’affaires semestriel s’établit à 2,847 milliards d’euros, en hausse de 12 % sur un an, les résultats financiers globaux sont jugés décevants par les analystes. Le bénéfice net ajusté s’élève à 386 millions d’euros, avec une marge en repli à 13,6 %, contre 17,4 % l’an passé. Le secteur de la défense, dopé par le Rafale, reste porteur, mais la branche aviation d’affaires est sous pression.

Le programme Falcon est particulièrement affecté. Les commandes de jets d’affaires ont reculé à huit unités sur le semestre, contre onze l’année précédente. Cette baisse de régime survient dans un contexte de tensions croissantes avec les États-Unis, qui s’apprêtent à imposer une taxe de 30 % sur les avions produits en Europe. Ce tarif douanier menace directement la compétitivité des Falcon face à Gulfstream, acteur majeur et local du marché américain. Par ailleurs, les perturbations dans la chaîne d’approvisionnement affectent les cadences de production. Dassault doit désormais trouver des réponses industrielles rapides pour préserver ses positions sur le segment des jets d’affaires haut de gamme.

Le contexte financier du premier semestre 2025

Les résultats financiers publiés par Dassault Aviation pour le premier semestre 2025 montrent une hausse du chiffre d’affaires consolidé à 2,847 milliards d’euros. Cette croissance est essentiellement tirée par les ventes du Rafale, tant à l’export qu’en France. Les activités militaires représentent désormais 62 % des revenus, contre 38 % pour la branche Falcon. Si la performance commerciale globale semble positive, l’analyse détaillée révèle une baisse de rentabilité.

Le résultat opérationnel ajusté s’établit à 180 millions d’euros, soit une marge de 6,3 %, en recul par rapport à l’année précédente. Le résultat net ajusté atteint 386 millions d’euros, contre 442 millions en 2024. La baisse est en partie liée à une surtaxe d’imposition exceptionnelle de 67 millions d’euros en France. Le carnet de commandes total atteint 48,29 milliards d’euros, en hausse, mais la part des Falcon dans ce total reste faible, à hauteur de 4,66 milliards pour 75 appareils.

La dynamique est clairement portée par le Rafale, tandis que la gamme Falcon montre des signes de faiblesse commerciale. Le nombre de jets d’affaires commandés au premier semestre passe de 11 à 8, pour une valeur totale de 903 millions d’euros, contre plus d’un milliard un an plus tôt. Cette situation inquiète d’autant plus que le segment Falcon représente historiquement un pilier stratégique de diversification pour Dassault.

L’impact des droits de douane américains sur la compétitivité Falcon

À compter du 1er août 2025, les États-Unis appliquent un droit de douane de 30 % sur plusieurs produits européens, dont les avions d’affaires. Malgré l’assemblage final des Falcon à Little Rock, Arkansas, où Dassault emploie environ 1 700 personnes, les composants fabriqués en Europe resteront soumis à taxation. Cela affecte directement les coûts de revient et compromet la compétitivité de l’appareil sur le marché américain.

Le marché nord-américain représente une part importante des ventes de jets d’affaires dans le monde. Face à Gulfstream, entreprise américaine bénéficiant d’une intégration locale complète, Dassault se trouve en position défavorable. Le PDG Éric Trappier a exprimé publiquement ses inquiétudes, précisant que le maintien des droits de douane rendrait très difficile la poursuite de l’activité sur ce territoire.

Pour limiter les effets de cette mesure, l’industriel français envisage sérieusement de déplacer davantage d’activités hors de France, voire de l’Union européenne. L’implantation d’une chaîne d’assemblage additionnelle aux États-Unis ou dans un pays tiers est actuellement à l’étude. Cette décision stratégique viserait à protéger la part de marché américaine, mais elle soulève des questions de souveraineté industrielle et de transferts technologiques.

Les tensions sur la chaîne d’approvisionnement et leurs effets

En parallèle aux pressions commerciales, Dassault Aviation continue de faire face à des difficultés structurelles au sein de sa chaîne d’approvisionnement. Le secteur aéronautique, marqué par les conséquences durables de la crise sanitaire, souffre encore de pénuries de main-d’œuvre et de composants critiques. De nombreux sous-traitants ont réduit leurs capacités ou restructuré leur activité, entraînant des retards de livraison.

Sur le segment Rafale, la production atteint désormais quatre appareils par mois, mais seules deux unités sont livrées dans le même laps de temps, provoquant un décalage entre la fabrication et la facturation. Cette lenteur pèse sur les flux de trésorerie. Pour la gamme Falcon, les livraisons sont également affectées. Le nouveau Falcon 6X, qui représente environ la moitié des livraisons semestrielles, génère encore des coûts industriels élevés. En phase de montée en cadence, il ne dégage pas encore les marges attendues.

Cette situation freine les ambitions du groupe et réduit sa capacité à investir massivement dans l’innovation. Le Falcon 10X, actuellement en développement pour une entrée en service prévue fin 2027, pourrait aussi pâtir de ces fragilités. Le déséquilibre entre ambitions commerciales et capacités industrielles freine aujourd’hui la progression de Dassault dans l’aviation d’affaires.

Perspectives et réponses industrielles envisagées

Pour l’exercice complet 2025, Dassault prévoit un chiffre d’affaires supérieur à 6,5 milliards d’euros. Les objectifs de livraisons sont maintenus à 25 Rafale et 40 Falcon, ce qui nécessitera l’expédition de 28 jets d’affaires au second semestre. Ce rythme élevé suppose une résolution rapide des tensions logistiques.

Plusieurs mesures sont à l’étude. La première consiste à réorganiser la chaîne de valeur autour d’unités industrielles hors d’Europe afin d’éviter les droits américains. Une autre piste concerne la diversification des fournisseurs pour réduire la dépendance à des acteurs uniques fragiles. Par ailleurs, Dassault pourrait adapter son mix produit en accélérant la transition vers le Falcon 10X, avion ultra-long courrier à très forte valeur unitaire.

En parallèle, une remise à plat des contrats de maintenance et de support technique pourrait générer de nouvelles marges, indépendamment des ventes d’appareils. Le modèle économique de l’aviation d’affaires évolue, et Dassault doit s’adapter rapidement aux contraintes du marché sans sacrifier la qualité de ses produits.

Dassault Aviation reste un acteur solide du secteur aéronautique, mais sa branche Falcon traverse une zone d’incertitude préoccupante. Entre droits de douane américains, tensions industrielles et affaiblissement des prises de commandes, l’équilibre économique du programme est fragilisé. L’entreprise doit prendre des décisions rapides pour garantir la pérennité de cette activité stratégique.

À moyen terme, seul un repositionnement industriel clair, couplé à un redressement logistique, pourra préserver les marges et la compétitivité de Dassault sur un marché des jets d’affaires de plus en plus concurrentiel. La crédibilité du groupe dépend désormais de sa capacité à faire face aux défis commerciaux et industriels qui se cumulent.

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