Émissions des jets privés : +46 % en cinq ans

Émissions des jets privés : +46 % en cinq ans

Les émissions carbone liées aux vols en jet privé explosent, alimentant le débat sur leur impact environnemental et l’absence de régulation contraignante.

Une étude publiée le 17 juin 2025 confirme une hausse de 46 % des émissions carbone des jets privés entre 2019 et 2024. Ce chiffre brut, appuyé par une base de données de plus de 2,3 millions de vols, relance la critique croissante sur le rôle disproportionné de l’aviation d’affaires dans le réchauffement climatique. Le débat dépasse désormais les cercles spécialisés. Sur Reddit, X ou dans les milieux universitaires, de nombreux utilisateurs dénoncent un secteur jugé excessif, inefficace et peu contraint par les politiques climatiques.

Alors que le trafic commercial de passagers reste soumis à des quotas d’émissions ou des taxes sur le carburant, le vol en jet privé échappe souvent à ces dispositifs. Pourtant, un jet privé peut émettre entre 2 et 20 fois plus de CO₂ par passager qu’un avion de ligne, selon le modèle utilisé et la distance parcourue.

Les chiffres récents confirment une tendance préoccupante : plus d’avions, plus d’heures de vol, plus de fuel consommé. L’aviation privée s’étend à de nouveaux marchés, y compris en Afrique et en Asie, sans répondre aux critères stricts des accords de Paris. Face à cette réalité, plusieurs ONG et chercheurs appellent à imposer une régulation spécifique à ce segment, qu’il s’agisse de taxation, de restriction d’usage ou de compensation carbone obligatoire.

Une hausse constante et massive des émissions de CO₂

Chiffres clés de l’étude 2025

L’étude, commandée par un consortium d’ONG et de chercheurs européens, repose sur l’analyse de plus de 2,3 millions de vols en jet privé entre janvier 2019 et décembre 2024. Les résultats sont sans ambiguïté :

  • 46 % d’augmentation des émissions globales, soit un passage de 3,3 millions à 4,8 millions de tonnes de CO₂/an ;
  • une augmentation de 31 % du nombre d’heures de vol en jet privé ;
  • un allongement de la distance moyenne parcourue, désormais estimée à 1 260 km par vol (contre 940 km en 2019).

Ces chiffres s’expliquent en partie par la démocratisation des plateformes de vol à la demande, qui permettent la location d’un jet en quelques clics. De nombreuses entreprises – comme XO, JetSmarter, GlobeAir ou LunaJets – ont élargi leur offre à une clientèle moins exclusive mais plus nombreuse. Résultat : des avions plus souvent en vol, parfois avec seulement un ou deux passagers à bord.

Poids relatif dans l’aviation et impact réel

L’aviation privée représente environ 0,04 % du trafic aérien mondial en nombre de passagers transportés, mais jusqu’à 4 % des émissions liées à l’aviation. Cela s’explique par des taux d’occupation très faibles (souvent 1 ou 2 personnes), des distances modérées (inférieures à 2 000 km), et une consommation de carburant élevée au décollage.

Un vol entre Genève et Londres en jet privé (1 h 30, soit environ 750 km) émet plus de 2 tonnes de CO₂ par passager, contre 0,2 tonne en avion de ligne sur la même liaison. Un Gulfstream G650, en configuration long-courrier, consomme jusqu’à 1 300 litres de carburant/heure, équivalent à 3 400 kg de CO₂/heure, soit plus de 8 tonnes pour un aller simple Paris-Dubaï.

Des critiques de plus en plus virulentes sur l’aviation d’affaires

Une contestation en ligne et dans les cercles politiques

Les réseaux sociaux servent désormais de caisse de résonance à une contestation structurée. Sur Reddit, le subreddit r/Anticonsumption rassemble des millions de membres. L’un des fils les plus partagés en juin 2025 pointe les voyages d’affaires de dirigeants d’entreprises technologiques sur des distances inférieures à 500 km.

Le vol en jet privé est jugé inacceptable sur le plan moral, en particulier dans un contexte de crise climatique et de restrictions budgétaires pour les transports publics. Des utilisateurs dénoncent aussi l’injustice climatique, certains rappelant que 1 % de la population mondiale est responsable de plus de 50 % des émissions liées à l’aviation privée.

En France, aux États-Unis et en Allemagne, plusieurs parlementaires écologistes proposent désormais des interdictions ciblées :

  • interdiction de vol en jet privé sur des trajets inférieurs à 400 km ;
  • obligation de mutualiser les vols pour les entreprises (min. 4 passagers) ;
  • taxation carbone spécifique à l’aviation privée, indexée sur le type d’appareil et la distance.

Un secteur peu contraint par les régulations internationales

L’aviation commerciale est partiellement régulée par l’EU ETS (système européen d’échange de quotas d’émission) et le mécanisme CORSIA de l’OACI. Mais ces dispositifs excluent en grande partie l’aviation d’affaires, qui n’est pas soumise à une tarification stricte du carbone.

Aujourd’hui, seuls six pays européens appliquent une taxe sur le carburant Jet-A1 utilisé par les jets privés, avec des montants faibles (en moyenne 0,33 €/L). Or, un vol Genève-Mykonos peut consommer 1 800 litres, pour un prix moyen de 2 000 € de carburant, sans qu’aucune taxe environnementale significative ne soit appliquée.

Émissions des jets privés : +46 % en cinq ans

Les solutions envisagées pour réduire l’empreinte des jets privés

Vers une taxation carbone différenciée

La première piste évoquée par les ONG et économistes est la mise en place d’une taxe carbone spécifique aux vols en jet privé, indépendante des dispositifs existants. Elle reposerait sur trois critères :

  1. Poids de l’appareil : plus un jet est lourd, plus il est taxé ;
  2. Distance parcourue : une grille progressive par palier (0–500 km, 500–1 500 km, >1 500 km) ;
  3. Nombre de passagers : coefficient correctif selon l’occupation réelle du vol.

Les simulations réalisées par l’Institut de l’air et du climat estiment que chaque vol en jet privé taxé à 300 €/tonne de CO₂ émis générerait un surcoût moyen de 1 800 à 2 400 €, selon le modèle. Une telle mesure inciterait à la mutualisation des vols, voire au recours à d’autres modes de transport sur les courtes distances.

Le mirage du carburant durable et des avions « verts »

Certains constructeurs, comme Dassault Aviation ou Gulfstream, évoquent des perspectives de réduction d’empreinte grâce aux carburants durables d’aviation (SAF – Sustainable Aviation Fuel). Toutefois, la production mondiale de SAF reste inférieure à 0,1 % du kérosène consommé, et son prix dépasse 2,70 €/litre, contre 0,85 €/litre pour le Jet-A1.

L’électrification complète n’est pas réaliste pour les jets de plus de 10 tonnes. L’autonomie nécessaire, la densité énergétique des batteries et les contraintes de certification rendent ce scénario inapplicable avant 2040–2045, même pour des modèles de niche.

Une réduction de l’usage comme seule variable réellement efficace

En l’absence de rupture technologique immédiate, la seule mesure réellement efficace reste la limitation de l’usage du jet privé. Cela peut passer par :

  • l’interdiction sur certaines liaisons desservies par le rail ;
  • l’intégration des jets privés dans les quotas de CO₂ nationaux ;
  • la suppression des exonérations fiscales (TVA, taxe carburant, redevances aéroportuaires) dont bénéficient encore ces vols.

Cette approche heurte de plein fouet les intérêts du secteur, estimé à 24 milliards € de chiffre d’affaires annuel en Europe. Mais le débat est désormais ouvert. Les émissions carbone des jets privés ne peuvent plus être ignorées, ni traitées comme anecdotiques. Leur régulation devient un enjeu stratégique à l’échelle climatique.

Infos Jet Privé est le spécialiste de l’aviation privée.