La taxe kérosène intra‑UE, SAF obligatoires dès 2 %, TSBA France renforce la fiscalité environnementale à partir de 2025.
L’Union européenne renforce nettement son cadre réglementaire et fiscal pour l’aviation dans le cadre du paquet Fit for 55. À partir de 2025, une taxe harmonisée sur le kérosène sera appliquée aux vols intra‑européens, incluant l’aviation d’affaires et les vols privés. Cette mesure pourrait accroître les coûts d’un vol privé comme Paris‑Nice de 200 à 300 € par passager. Parallèlement, le dispositif ReFuelEU Aviation rend obligatoire l’incorporation de carburants d’aviation durables (SAF) : 2 % dès 2025, puis 6 % en 2030, et jusqu’à 70 % en 2050, avec une part croissante de carburants synthétiques. Les SAF sont aujourd’hui 3 à 5 fois plus coûteux que le kérosène classique. La France intensifie sa fiscalité domestique via la TSBA (taxe de solidarité sur les billets d’avion), portée à un barème allant jusqu’à 2 100 € par passager pour les longs courriers en jets privés à partir du 1er mars 2025. L’ensemble de ces mesures vise à corriger une fiscalité carbone historiquement absente, tout en créant des incitations financières et réglementaires fortes pour réduire les émissions. Cet article propose une analyse technique, chiffrée, professionnelle et précise du dispositif global, de ses implications économiques et environnementales, ainsi que des tensions qu’il génère au sein du secteur aérien.
La taxe kérosène intra‑européenne : mécanisme et impacts
À compter de 2025, la Commission européenne prévoit d’inclure les carburants d’aviation dans la Directive sur la taxation de l’énergie, instaurant une taxe uniforme de ~10,75 € par gigajoule sur le kérosène utilisé pour les vols au départ ou à l’arrivée de l’UE. Selon la consommation moyenne (~40 GJ pour un Paris‑Nice en jet privé), cela représente une augmentation de 200 à 300 € par vol. Cette taxation remplace progressivement une exemption de plus de deux décennies, source considérée de subventions environnementales implicites dans l’aviation . L’objectif est de refléter le prix réel des externalités climatiques, corrigeant un avantage concurrentiel injuste dont bénéficiait jusqu’ici le transport aérien. Ce mécanisme couvre les vols commerciaux et privés intra‑UE, sans discrimination selon le type d’opérateur, et s’inscrit dans une logique de tarification carbone cohérente et progressive. En pratique, ce relèvement alourdit la structure des coûts des opérateurs, notamment pour les affrètements privés, et contraint les acteurs à ajuster prix et stratégie de fuel sourcing.
L’incorporation obligatoire de SAF : trajectoire et coûts
La réglementation ReFuelEU Aviation, adoptée en 2023, impose aux fournisseurs de carburant d’assurer un minimum de 2 % de SAF dès le 1er janvier 2025, 6 % en 2030, puis progressivement jusqu’à 70 % en 2050. La part des carburants synthétiques (e‑fuels) atteindra 1,2 % dès 2030, et 35 % d’ici 2050. Ces cibles sont contraignantes pour tout vol partant d’un aéroport de l’UE, quelle que soit la compagnie. Aujourd’hui, le SAF reste 3 à 5 fois plus cher que le kérosène fossile ; les e‑fuels peuvent coûter jusqu’à 10 fois plus selon les technologies émergentes . L’Union a prévu un mécanisme de soutien via l’EU ETS, qui réserve 20 millions de quotas distribués aux opérateurs assurant l’usage de SAF, afin de compenser partiellement cet écart de coût. Malgré cela, les compagnies dénoncent le caractère irréaliste des objectifs à court terme, pointant un approvisionnement limité et une concurrence de prix défavorable. Le secteur indique aussi que l’import de SAF depuis l’Asie pourrait accroître l’empreinte carbone en raison du transport. Ces critiques ont été relayées par IATA, soulignant le besoin de réévaluation du calendrier réglementaire.
La TSBA en France : fiscalité accrue pour l’aviation privée
La taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA), ou « taxe Chirac », est profondément revisitée à compter du 1er mars 2025. Le nouveau barème s’applique aux vols commerciaux et à l’aviation d’affaires (jets privés), avec des montants variant selon la distance et le type d’appareil. Ainsi, pour un vol long‑courrier en jet à turboréacteur, la taxe atteindra jusqu’à 2 100 € par passager. Les vols intra‑européens en jet privé impliqueront une taxation de ~420 € par passager. Ces hausses visent à générer environ 800 M€ supplémentaires par an, dont 100 M€ provenant de l’aviation privée, pour financer les infrastructures ferroviaires via l’AFITF. Le secteur s’alarme de conséquences potentielles : baisse du trafic (estimée à –2 %), pertes d’emplois (jusqu’à 11 500 postes en danger), affaiblissement de l’attractivité des opérateurs français et risque de perte concurrentielle face à des hubs étrangers moins taxés. Cette taxe impose une réorientation financière lourde pour les opérateurs privés, et pourrait provoquer un repli des vols non essentiels.
Analyse croisée : effets, tensions, réalités du secteur
L’ensemble de ces mesures structure un double dispositif de pression économique et environnementale systémique. D’une part, la taxe kérosène et la TSBA internalisent le coût carbone des vols, portant les prix vers leurs niveaux réels. D’autre part, l’obligation SAF vise une disruption du mix énergétique du transport aérien. Ces éléments combinés provoquent des tensions fortes : le coût élevé des SAF, l’inégalité de disponibilité entre régions, l’impact sur la compétitivité des compagnies européennes, et un risque de contournement réglementaire (tankering, importations). Les industriels plaident pour un cadre de soutien plus stable, des investissements soutenus dans la production locale de SAF, et une modalité de calcul équilibrée. L’Union tente de corriger via les quotas ETS alloués, mais cela ne garantit pas la rentabilité long terme des filières alternatives. Les effets attendus incluent une réduction progressive des émissions, mais aussi une hausse sensible des coûts d’exploitation, particulièrement pour les opérateurs de l’aviation d’affaires.
Au-delà de la portée environnementale, ces dispositifs sont révélateurs d’un rééquilibrage fiscal structurant du transport aérien européen. Ils imposent des niveaux de transparence, traçabilité et coûts sans précédent, et obligent les acteurs à repenser leurs chaînes d’approvisionnement. Si les normes sont ambitieuses, la valeur ajoutée pour le secteur réside dans une adaptation anticipée : diversification des sources de carburant, optimisation des routes et des stratégies tarifaires, et collaboration renforcée avec les producteurs de SAF. Les entreprises aéronautiques doivent envisager ces contraintes non comme des freins, mais comme des incitations à innover et à consolider une économie décarbonée. Ceux qui sauront intégrer ces changements dès aujourd’hui gagneront en compétitivité dès demain.

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