Progrès dans l’utilisation du carburant d’aviation durable (SAF)

Progrès dans l’utilisation du carburant d’aviation durable (SAF)

La réglementation européenne impose dès 2025 un minimum de 2 % de carburant durable dans les jets privés, un défi pour le secteur.

Depuis le 1er janvier 2025, tout vol en jet privé au départ d’un aéroport de l’UE doit contenir minimum 2 % de carburant durable (SAF). Ce chiffre grimpe à 6 % en 2030, 20 % en 2035, puis jusqu’à 70 % en 2050 selon le règlement ReFuelEU Aviation . Cette exigence vise à réduire drastiquement les émissions de CO₂, estimées en baisse de plus de 60 % d’ici 2050 comparé à 1990. Mais le coût actuel d’un SAF reste environ 3 à 5 fois supérieur à celui du kérosène fossile. Une réalité économique qui pèse lourd dans la gestion opérationnelle des jets privés.

Progrès dans l’utilisation du carburant d’aviation durable (SAF)

Le mandat européen et ses implications techniques

Le cadre réglementaire

Depuis le 1er janvier 2025, toute opération de ravitaillement en carburant d’un jet privé au départ d’un aéroport situé dans l’Union européenne doit inclure un minimum de 2 % de carburant d’aviation durable (SAF). Ce seuil augmentera progressivement pour atteindre 6 % en 2030, 20 % en 2035, puis 70 % en 2050, conformément au règlement ReFuelEU Aviation. En parallèle, un quota spécifique impose l’intégration de carburants de synthèse (e‑SAF), démarrant à 1,2 % en 2030 et atteignant 35 % en 2050.

Cette obligation s’applique aussi bien aux fournisseurs de carburant qu’aux exploitants de jets privés. Le non-respect de ces quotas entraîne une pénalité financière équivalente à deux fois la différence de prix entre le SAF et le kérosène conventionnel, à laquelle s’ajoute un mécanisme de compensation à reporter sur la période suivante. En 2025, le coût du SAF est estimé à trois fois celui du kérosène, et celui de l’e‑SAF peut grimper jusqu’à dix fois, ce qui rend les pénalités particulièrement lourdes pour les opérateurs.

Pour atténuer ce surcoût, le règlement prévoit un appui partiel par le biais du système ETS (Échange de Quotas d’Émissions). Entre 2024 et 2030, 20 millions de quotas ETS aviation sont alloués à la création d’un dispositif de soutien, notamment sous forme de contrats pour différence, censés compenser une partie du surcoût du SAF. Toutefois, les estimations indiquent que ces soutiens couvrent difficilement la totalité des coûts supplémentaires induits par la transition.

Conséquences techniques

Le SAF est certifié comme carburant « drop-in », ce qui signifie qu’il peut être utilisé directement dans les avions existants sans modification des moteurs ni des infrastructures aéroportuaires. Cette compatibilité est encadrée par la norme ASTM D1655. Trois grandes catégories de SAF sont aujourd’hui reconnues :

  • HEFA : produits à partir d’huiles usagées, de graisses animales ou de résidus végétaux ;
  • Bio-HEFA : variante issue d’esters hydrotraités ;
  • e‑SAF : carburants de synthèse obtenus via l’association d’hydrogène vert et de dioxyde de carbone capté, selon le procédé Power-to-Liquid.

La filière HEFA domine actuellement le marché du SAF, car elle repose sur des technologies matures et des matières premières déjà disponibles. Cette technologie permet une réduction des émissions de CO₂ jusqu’à 80 % par rapport au kérosène d’origine fossile, selon le cycle de vie. Néanmoins, sa production reste contrainte par la disponibilité des ressources organiques et la capacité industrielle.

En 2023, l’Europe produisait environ 1 million de tonnes de SAF par an, un chiffre qui pourrait atteindre 3,5 millions de tonnes en 2030 si les projets en cours sont menés à terme. Or, ces volumes sont encore très loin des besoins projetés pour satisfaire les objectifs de 2035 et au-delà. La dépendance aux importations, notamment pour les huiles usagées asiatiques, renforce cette tension sur l’approvisionnement. Ces contraintes limitent la marge de manœuvre pour répondre efficacement à la réglementation sans compromettre l’équilibre économique du secteur du vol en jet privé.

Analyse économique et financière

Écart de prix et surcharge opérationnelle

En 2025, le coût du carburant d’aviation durable (SAF) s’établit entre 3 et 5 fois plus élevé que celui du kérosène classique. Le carburant synthétique (e‑SAF), encore plus complexe à produire, atteint quant à lui un coût supérieur pouvant aller jusqu’à dix fois celui du kérosène. Selon les chiffres publiés par l’Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA), le prix moyen du SAF bio est de 2 768 euros par tonne, contre 816 euros par tonne pour le kérosène issu de ressources fossiles.

L’impact économique est significatif. En Espagne, par exemple, l’obligation d’incorporer environ 120 000 tonnes de SAF dans les réservoirs de l’aviation commerciale et privée dès 2025 génère un surcoût estimé à 235 millions d’euros. En tenant compte des coûts logistiques et contractuels, le total pourrait atteindre 332 millions d’euros. À l’échelle de l’Union européenne, le volume requis pour respecter le quota de 2 % représente environ 1 million de tonnes, avec un coût global évalué à 1,2 milliard de dollars, auquel s’ajoutent 1,7 milliard de dollars de surtaxes pour garantir le respect du quota, soit un coût global moyen supérieur à 3 500 dollars par tonne.

Pour les exploitants de jets privés, ces écarts de prix sont critiques. Le carburant représente entre 20 % et 30 % de leurs charges opérationnelles. L’introduction d’un carburant aussi onéreux augmente mécaniquement leurs coûts de fonctionnement. Sans mécanisme de compensation, cela fragilise la rentabilité du secteur, notamment sur les trajets de courte distance où la charge carburant est proportionnellement plus élevée. À cela s’ajoute le risque d’une volatilité accrue des prix en raison de la rareté relative du SAF sur le marché européen, accentuée par la concurrence entre compagnies aériennes commerciales et aviation d’affaires.

Mécanismes de soutien

Pour amortir l’impact financier du SAF, l’Union européenne mise principalement sur deux outils. Le premier repose sur les subventions issues du système ETS (Échange de quotas d’émissions). Vingt millions de quotas carbone spécifiques à l’aviation seront mobilisés entre 2024 et 2030 pour soutenir la production de SAF à travers des contrats pour différence (CfD). Ce mécanisme vise à couvrir le différentiel entre le prix du kérosène et celui du SAF, offrant une forme de sécurité aux producteurs tout en stabilisant les charges pour les exploitants.

Le second levier provient des États-Unis. Le gouvernement fédéral a instauré un crédit d’impôt temporaire, valable de 2025 à 2027, destiné aux utilisateurs de SAF justifiant d’une réduction d’au moins 50 % des émissions de gaz à effet de serre. Ce crédit est complété par un budget de 300 millions de dollars affecté à la recherche, au développement et à la distribution de carburants durables. Les exploitants américains de jets privés bénéficient ainsi d’un environnement plus favorable à l’adoption du SAF.

En Europe, plusieurs voix du secteur aérien réclament une transposition partielle de ces dispositifs. L’association espagnole ALA demande l’introduction de crédits de production similaires au modèle nord-américain. En Allemagne et aux Pays-Bas, les acteurs pétroliers tels que Shell et BP peinent à sécuriser leurs investissements dans des unités de production SAF, faute d’une garantie de rentabilité suffisante à moyen terme. Ce manque de visibilité réglementaire et financière freine le développement industriel, alors que les obligations d’incorporation montent en flèche dans les prochaines décennies. Sans ajustements rapides, la transition énergétique de l’aviation privée pourrait s’accompagner d’une contraction de l’offre, d’une hausse brutale des prix ou d’une dépendance prolongée aux importations.

Capacité de production et logistique

Situation actuelle

La capacité de production de carburant d’aviation durable (SAF) en Europe reste aujourd’hui très inférieure aux objectifs fixés par le mandat européen. À la fin de l’année 2023, l’Union européenne produisait environ 1 million de tonnes de SAF par an, principalement via la filière HEFA, qui repose sur l’utilisation d’huiles usagées, de graisses animales ou de déchets végétaux. Ce volume reste insuffisant pour répondre à la demande future, même à court terme. Les projets actuellement en cours pourraient permettre d’atteindre 3,5 millions de tonnes par an d’ici à 2030, soit une augmentation significative, mais encore éloignée des besoins projetés à horizon 2050.

Pour respecter l’ensemble des obligations réglementaires, notamment l’introduction progressive de carburants synthétiques (e‑SAF), l’Europe devra construire entre 100 et 106 usines supplémentaires d’ici à 2050, dont environ 40 unités spécifiques au procédé Power-to-Liquid (PtL), capables de produire collectivement 3 millions de tonnes par an de e‑SAF. Ces volumes ne couvriraient que 5 % de la demande attendue pour l’aviation commerciale et les jets privés confondus. Le rythme actuel de déploiement industriel est donc largement insuffisant.

Plusieurs projets majeurs connaissent d’ores et déjà des retards. Les sites de Shell à Rotterdam et de BP à Lingen, initialement prévus pour entrer en service à court terme, sont partiellement gelés en raison de conditions de rentabilité jugées incertaines. Les producteurs peinent à sécuriser des contrats de long terme avec des clients prêts à absorber les surcoûts du SAF. Ce manque de visibilité pèse sur la prise de décision industrielle, malgré la pression réglementaire croissante.

L’approvisionnement en matières premières pose également un problème structurel. La filière HEFA dépend de ressources organiques limitées : huiles alimentaires usagées, résidus agricoles, déchets de transformation. Ces matières, bien que renouvelables, sont disponibles en quantités finies et déjà exploitées par d’autres secteurs, notamment le transport routier et la production de biocarburants terrestres. Cette concurrence interne limite la possibilité d’une montée en charge rapide de la filière SAF, sauf à ouvrir de nouvelles filières de valorisation comme les microalgues ou les déchets urbains, encore peu développées à l’échelle industrielle.

Dépendance aux importations

L’Union européenne dépend fortement de l’étranger pour une partie de ses matières premières utilisées dans la fabrication de SAF, en particulier les huiles usagées. Plus de la moitié de ces ressources sont actuellement importées d’Asie, notamment d’Indonésie, de Malaisie et de Chine. Cette dépendance génère plusieurs risques stratégiques.

D’abord, les volumes disponibles à l’import tendent à diminuer, car les pays producteurs intensifient leur propre consommation de ces huiles pour leurs besoins internes en biocarburants. Ensuite, la demande mondiale augmente plus vite que l’offre, ce qui provoque une hausse des prix à l’achat. À cela s’ajoute une volatilité accrue, alimentée par des tensions géopolitiques et la fluctuation des marchés de matières premières.

Cette situation crée une pression sur les marges des producteurs européens et sur les exploitants de jets privés, qui devront absorber à la fois le coût plus élevé du SAF et celui de son acheminement. En outre, l’importation de matières premières depuis des pays lointains annule partiellement les gains environnementaux du SAF, en raison des émissions générées par le transport maritime. Le paradoxe est notable : vouloir réduire l’empreinte carbone des vols en jet privé tout en dépendant d’une logistique intercontinentale fortement émettrice.

Pour réduire cette vulnérabilité, l’Europe est contrainte d’accélérer la création d’une filière de production domestique plus résiliente. Cela implique de sécuriser des ressources locales, de diversifier les intrants, et d’investir massivement dans la filière e‑SAF, plus indépendante des ressources organiques. Toutefois, cela suppose des investissements publics et privés très importants, des incitations stables, et un encadrement réglementaire clair pour attirer les acteurs industriels. Faute de quoi, la transition vers le carburant durable dans l’aviation pourrait rester marginale, coûteuse, et dépendante de marchés extérieurs instables.

Progrès dans l’utilisation du carburant d’aviation durable (SAF)

Impact sur les jets privés et perspectives stratégiques

Retombées sur les exploitants

L’intégration du carburant d’aviation durable bouleverse en profondeur les équilibres économiques des vols en jet privé. Le carburant représentant déjà une part significative des charges opérationnelles — entre 20 % et 30 % selon les types d’exploitation — l’introduction progressive du SAF, bien plus coûteux que le kérosène fossile, accroît directement le prix de revient par heure de vol.

Ce surcoût crée une pression sur les modèles économiques des opérateurs privés, notamment dans le segment des vols à la demande, très sensible aux variations de coûts variables. Les exploitants devront répercuter une partie de cette charge sur les clients, via des surcharges carburant (fuel premium), intégrées en supplément au tarif de base. Ce mécanisme, déjà courant pour les compagnies commerciales, tend à se généraliser dans l’aviation d’affaires, sous la forme d’un coût forfaitaire par litre de carburant utilisé.

Face à cette contrainte, certaines compagnies misent sur la contractualisation à long terme avec les fournisseurs de SAF, afin de sécuriser des volumes à prix négociés, tout en garantissant une traçabilité conforme aux exigences réglementaires. Cette stratégie est particulièrement efficace pour les exploitants à fort volume, disposant d’une visibilité sur leurs besoins. Elle reste toutefois inaccessible aux petits acteurs aux flux irréguliers.

Enfin, une gestion optimisée du mix énergétique, combinant SAF d’origine HEFA et e‑SAF selon la disponibilité locale et le coût à la tonne, pourrait offrir une forme de flexibilité. Mais cette option dépend de la maturité des infrastructures, de la transparence des chaînes d’approvisionnement, et d’un suivi précis des quotas de durabilité.

Solutions envisagées

Face à la pression économique induite par l’obligation d’intégration du SAF, plusieurs pistes stratégiques sont envisagées pour alléger l’impact sur les exploitants de jets privés.

D’une part, une coopération renforcée entre acteurs publics et privés permettrait de financer la construction d’unités de production, notamment dans le segment Power-to-Liquid (PtL), encore peu développé en Europe. Des mécanismes comme les contrats pour différence (CfD) pourraient servir à combler l’écart de prix entre le SAF produit localement et le kérosène standard, tout en assurant une rentabilité aux industriels.

D’autre part, une harmonisation fiscale à l’échelle de l’Union européenne, avec l’instauration de crédits d’impôt ciblés pour les utilisateurs de jets privés, offrirait un levier direct de compensation. Ces aides pourraient être conditionnées à l’utilisation de SAF respectant des critères stricts de réduction d’émissions, à l’image des mécanismes déjà déployés aux États-Unis.

En parallèle, des investissements dans l’optimisation logistique sont nécessaires pour réduire l’empreinte carbone indirecte du SAF. Cela passe par une relocalisation partielle de la production, des chaînes d’approvisionnement plus courtes, et un maillage territorial plus dense en infrastructures de ravitaillement compatibles SAF.

Rattrapages nécessaires

Malgré l’ambition du calendrier réglementaire, plusieurs signaux laissent entrevoir une potentielle flexibilisation des objectifs intermédiaires, en cas de difficulté d’approvisionnement ou de surcharge économique insoutenable. L’Association internationale du transport aérien (IATA) a d’ores et déjà exprimé son inquiétude sur la soutenabilité des quotas si le différentiel de prix du SAF reste stable, entre 3 et 5 fois le prix du kérosène conventionnel.

Certains acteurs majeurs du secteur, comme International Airlines Group (IAG), ont publiquement évoqué l’éventualité d’un report des objectifs de 2030 à 2035, en raison de l’écart entre la montée en charge théorique de la production et la réalité industrielle constatée. Une telle décision aurait des répercussions immédiates sur l’aviation d’affaires, qui subirait une pression moindre sur ses coûts dans l’immédiat, mais au prix d’un ralentissement de la transition énergétique du secteur.

Pour éviter ces ajustements, les régulateurs devront garantir une montée en puissance maîtrisée de la capacité industrielle, tout en offrant une visibilité budgétaire claire aux exploitants. Faute de quoi, les jets privés risquent de se heurter à un effet de ciseaux entre exigences réglementaires et contraintes économiques non alignées.

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