Guide professionnel détaillé pour affréter un jet privé, du cadrage des besoins à la conformité EASA, avec coûts, exemples et bonnes pratiques.
Le marché européen de l’aviation d’affaires a dépassé en 2024 les niveaux de trafic de 2019, avec près de 11 millions de vols prévus en 2025. Pourtant, affréter un jet privé reste une opération délicate : tarifs variables, responsabilités juridiques strictes, exigences de sûreté et contraintes environnementales. Cet article propose un mode d’emploi précis, sans concession au marketing, pour permettre à un gestionnaire averti de piloter chaque étape : cadrage du besoin, sélection de l’appareil et de l’opérateur, négociation contractuelle, préparation du vol en jet privé et suivi post-mission. Les chiffres sont convertis dans le système métrique, les montants en euro, et les points déterminants sont mis en gras.

Le cadrage des besoins opérationnels
Le succès d’un affrètement se joue sur une analyse rigoureuse du profil de mission. Première question : combien de passagers ? Six cadres nécessitent en moyenne 120 kg de bagages et dossiers divers ; un léger jet (Cessna Citation CJ2) offre 1,6 m³ de soute, alors qu’un super-midsize (Cessna Citation XLS) en propose 2,5 m³. La masse admissible s’étudie dès l’origine, car le C-of-G limite parfois le plein carburant avec un groupe important.
Rayon d’action et aérodromes viennent ensuite. Un Paris–Lisbonne (1 260 NM / 2 333 km) dépasse la portée d’un VLJ mais reste dans celle d’un Citation XLS (2 120 km avec réserve IFR). Les contraintes de piste sont décisives : l’XLS réclame 1 090 m au décollage ; certaines pistes d’affaires, comme Cannes-Mandelieu (1 610 m), conviennent, d’autres non. Vérifier aussi la classification slots : Genève impose une demande anticipée de créneau IFR durant la saison IATA S.
Planning, marge horaire et redondance doivent être figés avant tout contact opérateur. Un aller-retour dans la journée accroît le risque de retard ; insérer une marge de 90 minutes protège la connexion rail ou route ultérieure. Enfin, formaliser un tableau de contraintes (nombre de passagers, destinations, fenêtre horaire, options d’emport, animaux à bord, exigences Wi-Fi Ku-band) fournit au courtier une base technique claire et réduit les échanges inutiles.
La sélection des opérateurs et des aéronefs
Le choix s’articule autour de trois axes : certification, flotte, disponibilité. En Europe, un opérateur de jet privé doit détenir un AOC valide et voler sous EASA Part-CAT pour le transport commercial. Exiger la copie du certificat limite le risque de « grey charter », pratique illégale et pénalement sanctionnée. Des labels tiers (ARGUS Gold, Wyvern Wingman) complètent l’audit mais ne se substituent jamais au contrôle initial.
Sur le plan matériel, plus de 4 800 appareils et 350 opérateurs sont accessibles par courtage. Choisir la cellule adaptée repose sur des critères objectifs :
- Besoin cabine : confort debout (1,80 m) obtenu dès la catégorie super-midsize.
- Vitesse de croisière : 720 km/h pour un CJ2, 870 km/h pour un Gulfstream G550.
- Autonomie : un Falcon 7X couvre 11 000 km, assez pour Paris–São Paulo direct.
Comparer la disponibilité réelle est impératif. Une flotte de cinq appareils de même type offre une probabilité de remplacement supérieure à 95 % en cas de panne AOG. Enfin, le Type Rating de l’équipage doit être confirmé (pas de copilote « en supervision »), et la langue opérationnelle fixée : français ou anglais selon l’AMC1 ORO.GEN.110.
Même pour un spécialiste, l’usage d’un courtier reste parfois pertinent. Il négocie l’appareil le plus proche, limite le “positioning fee” (souvent 20 % du devis), et mutualise les volumes d’affaires pour obtenir un tarif horaire plus bas. La contrepartie est un commissionnement compris entre 4 % et 7 %.
La négociation contractuelle et la gestion des coûts
Un devis se décompose en quatre blocs :
- Temps de vol facturé (block-time arrondi à la minute) ;
- Positionnement aller-retour de l’appareil ;
- Frais variables : carburant, ATC, redevances passagers, parking, dégivrage ;
- Frais fixes et marge opérateur ou courtier.
Les tarifs horaires 2025 observés chez les courtiers européens varient : 6 500 € à 8 500 € pour un ultra-long range (Gulfstream G550) et 3 200 € à 4 200 € pour un super-midsize (Citation XLS). L’XLS consomme 239 gallons US/h (905 l/h), soit une dépense carburant d’environ 1 270 € si le Jet A-1 vaut 1,40 €/l. À ce coût s’ajoutent souvent :
- EU ETS : 10 € à 15 € par tonne de CO₂ (4 % du devis intra-EEE).
- Sûreté aéroportuaire : 480 € à LBG, 270 € à LFMN.
- Dégivrage à LFST : 9 € le litre de Type I, moyenne 1 000 € pour un XLS.
Le contrat doit préciser : politique de “empty-leg”, délai d’annulation (souvent J-7 à 25 %), mécanisme de réajustement carburant, upgrade gratuit si l’appareil retenu devient indisponible. Exiger la clause « EU Jurisdiction » écarte les litiges aux Bermudes. Enfin, verser l’acompte (30 % à 50 %) sur un compte séquestre limite le risque de défaut.

La préparation opérationnelle et la conformité réglementaire
Une fois le contrat signé, la phase opérationnelle démarre J-72 h. Le courtier ou le flight support dépose le plan de vol sur le réseau IFPS, vérifie la conformité au Part-CNS et réserve le slot ATFM. Pour un appareil immatriculé hors EEE, un permis TCO (Third-Country Operator) EASA et, le cas échéant, un landing permit national restent indispensables au client corporate.
Documents passagers : liste nominative, passeports valides, formulaires API pour le Royaume-Uni, déclarations douanières pour tout transport d’espèces >10 000 €. Les animaux de compagnie exigent un carnet de vaccination conforme au règlement 576/2013.
Briefing équipage : checklist de sûreté, protocole sécurité cabine, allergènes, instructions RGPD pour la confidentialité des manifestes.
Carburant et masse : recalculer TOW + Alternate + 5 % contingency ; un Paris-Keflavík en Citation XLS impose un fuel-stop si la masse passagers dépasse 600 kg.
Assurances : la police opérateur doit afficher 250 millions de DTS pour les jets de plus de 45 t (EC No 785/2004). Vérifiez la date de validité dans le “Certificate of Insurance” ; un document expiré invalide l’AOC et annule la couverture du client.
La veille du départ, un “trip status” récapitule heure porte-porte, contacts FBO, catering, handling et transport au sol. Exiger un rapport post-vol sous 48 h : l’analyse des “on-block” times, des décalages ATC, des coûts additionnels et de la satisfaction passagers alimente le futur benchmark interne.
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