Sur un vol commercial, l’autopilote gère souvent plus de 90 % du trajet. Décryptage technique du fonctionnement réel et des implications pour les pilotes.
Dans l’aviation commerciale moderne, le pilote automatique joue un rôle central dans la gestion des vols. Contrairement à une idée reçue, les pilotes ne tiennent pas les commandes en permanence. Une grande partie du vol est gérée par des systèmes automatisés de haute précision, sous la supervision constante des membres d’équipage. Mais dans quelle proportion exacte l’autopilote intervient-il ? Quelles sont ses limites ? À quel moment les pilotes reprennent-ils la main ? Ces questions techniques méritent une réponse rigoureuse. En réalité, sur un vol moyen, plus de 90 % du temps est sous contrôle automatique, depuis quelques secondes après le décollage jusqu’à quelques centaines de mètres de l’atterrissage. Toutefois, cette automatisation n’est ni totale ni sans conséquence.
La gestion automatique du vol : une couverture dominante
La séquence type d’un vol commercial automatisé
Dans un vol classique opéré par un Airbus A320 ou un Boeing 737, le pilote automatique est généralement enclenché dès que l’appareil atteint entre 100 et 400 pieds (30 à 120 mètres) d’altitude, soit moins de 30 secondes après le décollage. Ce seuil dépend des conditions météo, du type d’approche prévue, des procédures propres à la compagnie aérienne et des préférences de l’équipage. En croisière, l’autopilote gère la trajectoire latérale (cap, route) et verticale (altitude, pente de montée ou descente), en suivant précisément le plan de vol programmé dans le système de gestion de vol (FMS).
L’appareil peut ainsi maintenir une vitesse constante (mach ou nœuds), effectuer des virages, changer d’altitude, suivre un itinéraire complexe ou éviter des zones météorologiques, le tout sans intervention manuelle directe sur les commandes. Les pilotes surveillent continuellement le bon déroulement de la mission, valident les changements de trajectoire proposés par le contrôle aérien et corrigent manuellement si une situation imprévue survient.
En approche, l’autopilote reste souvent actif jusqu’à une altitude de 200 à 1 000 pieds (60 à 300 mètres). L’équipage reprend alors les commandes pour effectuer l’atterrissage en manuel, sauf en cas d’autoland certifié (voir ci-dessous). Le roulage au sol reste intégralement manuel.
Chiffres précis sur la part automatisée du vol
D’après une étude menée par l’université de Cranfield sur plus de 14 000 vols de courte et moyenne distance, le pilotage manuel ne représente en moyenne que 7 minutes et 20 secondes, soit environ 10 % d’un vol de 72 minutes. La grande majorité des opérations, en particulier la phase de croisière, est donc confiée à l’autopilote. Pour les longs courriers, ce pourcentage dépasse régulièrement 95 % du temps total de vol. La tendance est encore plus marquée sur les avions de dernière génération comme le Boeing 787 ou l’Airbus A350, où les systèmes embarqués gèrent pratiquement toutes les phases intermédiaires, avec une finesse inégalée.
Les capacités réelles du pilote automatique
Un système complexe à haute redondance
Le pilote automatique moderne ne se résume pas à un simple maintien de cap. Il s’appuie sur une suite intégrée de calculateurs, de capteurs inertiels, de GPS, d’altimètres barométriques, de gyroscopes laser et de centrales de navigation. Ces systèmes fonctionnent en triple redondance, avec des boucles de validation mutuelle pour garantir leur fiabilité. Les signaux envoyés aux gouvernes (profondeur, direction, ailerons) sont mis à jour plusieurs dizaines de fois par seconde. Les vitesses de mise à jour varient selon les axes : jusqu’à 14 hertz pour les ailerons, 4 à 8 hertz pour la profondeur et la direction.
Le pilote automatique peut maintenir une altitude, gérer une descente contrôlée, effectuer des virages complexes et s’adapter à des vents latéraux. Sur les avions équipés de systèmes avancés comme le Head-Up Display (HUD) couplé au Système de vision améliorée (EVS) ou au Système de vision synthétique (SVS), des approches automatisées en conditions de visibilité quasi nulle sont réalisables, voire des atterrissages automatiques complets (autoland) en catégorie III.
Les limites de l’automatisation
Cependant, toutes les pistes ne sont pas certifiées pour accueillir des autoland. Seuls certains aéroports dotés d’un ILS catégorie III avec redondance électrique et des avions certifiés peuvent effectuer des atterrissages automatiques en toute sécurité. De plus, les conditions météo doivent répondre à des critères stricts (vent faible, turbulence minimale, etc.). Dans la pratique, moins de 1 % des vols sont terminés par un autoland.
Le roulage au sol, la prise de décision stratégique, la gestion des pannes ou des situations complexes (dégivrage, orages, changement de piste) restent des tâches exclusivement humaines. Le système automatique agit uniquement dans le cadre de paramètres préétablis. S’il détecte une incohérence (perte de données, vent de travers excessif, turbulence importante), il se désengage immédiatement, laissant le contrôle total au pilote.
Les implications opérationnelles et humaines
Impact sur les compétences des pilotes
L’omniprésence du pilotage automatique pose une question cruciale : les pilotes conservent-ils un niveau de compétence suffisant en pilotage manuel ? La plupart des régulateurs, dont l’EASA et la FAA, imposent des sessions de vol manuel obligatoires en simulateur chaque semestre. Cela inclut des décollages sans automate, des pannes simulées de servo-commandes, ou des approches sans aide au sol.
De nombreuses études menées par la NASA ou le NTSB ont identifié une perte progressive de réflexes en cas de vol entièrement automatisé. Lors d’accidents récents (Asiana 214 à San Francisco, Air France 447 au-dessus de l’Atlantique), l’analyse a montré que le manque de pratique manuelle avait ralenti la prise de décision ou généré des erreurs dans la lecture de l’assiette ou de la vitesse.
Les attentes en matière de supervision active
Un pilote ne doit pas se contenter de superviser passivement les systèmes. Il lui est demandé d’anticiper, de comparer en permanence les actions de l’automate avec les paramètres attendus, et de reprendre la main sans délai si un écart est constaté. Cette exigence de surveillance active est devenue une compétence à part entière, enseignée dans les modules CRM (Crew Resource Management) des compagnies aériennes.
En parallèle, l’automatisation libère du temps pour effectuer des tâches connexes essentielles : communication avec le contrôle aérien, préparation de la descente, relecture des NOTAMs, gestion carburant, vérification des performances à l’atterrissage. Ces tâches exigent une attention soutenue, même si le vol suit une route sans incident.
Synthèse chiffrée et conclusions opérationnelles
Sur un vol commercial standard, les données disponibles permettent d’établir les ordres de grandeur suivants :
- Phase de décollage manuelle : environ 30 secondes à 1 minute
- Phase de montée, croisière, descente : entièrement gérée par l’autopilote, sur 90 à 95 % du vol
- Phase d’approche et d’atterrissage manuelle : 2 à 4 minutes en moyenne
- Total du vol en pilotage manuel : 4 à 7 minutes, soit 5 à 10 % du temps total
L’autopilote est donc un outil central dans la gestion technique des vols, mais il ne remplace pas le jugement humain. Il exige une compétence accrue en supervision, en anticipation et en réaction. Pour un spécialiste du secteur, cette répartition du travail entre automate et humain constitue un équilibre délicat entre sécurité, efficacité et compétence technique. La question n’est pas de savoir si l’autopilote peut tout faire, mais si les pilotes sont suffisamment entraînés à reprendre immédiatement le contrôle lorsqu’il le faut.
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